Paris. Un bus. Le paysage défile devant mes yeux. Je ne sais pas où je vais. Je suis juste monté dans un bus, et j’attends de voir où il me mènera. Je sors le paquet de cigarette, sort l’un des long bâtonnets blancs, et le pince entre mes lèvres. Je porte le briquet à l’autre extrémité et prend une longue bouffée de nicotine. L’embout se consume, je suis balloté de tous les côtés alors que le véhicule s’arrête devant la gare. «
Hé, mon gars, c’est interdit de fumer, ici ! » Je jette un œil au chauffeur dans son rétroviseur et éteint ma cigarette sous la semelle de mes chaussures avant de la balancer par la fenêtre. Je laisse mon regard s’arrêter sur tous les visages passant près de l’autobus avant que ce dernier ne vrombisse à nouveau. Je garde mes yeux sur les traits du paysage passant à toute vitesse, me donnant mal à la tête. Plus que je ne l’avais déjà. La troisième guerre mondiale a été déclarée dans ma caboche, et je n’en ressors pas indemne. Il y a trois semaines, je m’engueulais une nouvelle fois avec mon père. Il y a trois jours, je voyais la belle Elise claquer la porte de mon appartement. Il y a trois heures, je raccrochais le téléphone après une entrevue avec le propriétaire d’un grand restaurant américain me proposant le job de mes rêves. Depuis ; je réfléchis. Mon père, mes parents, ce n’est pas grave. Moins je les vois, mieux je me porte après tout. Elise… je ne sais que penser. C’est la seule femme que j’ai aimé. Je crois. Une passion brûlante, dévorante. Une passion qui m’a détruit, je le sais. Je ne dors plus depuis que je la connais. Je ne dors plus, je ne mange presque plus… je ne cuisine même plus. Quelque part, alors, c’est peut-être mieux. Que je ne la revois plus. Je retrouverais peut-être une vie. Ma vie. La troisième nouvelle, la plus récente est peut-être – est surement – la réponse à tout. Si, je pars, qu’est-ce qu’il se passerait ? Je ne pense pas manquer à qui que ce soit ici. Mes parents m’ont donné une vie que je hais, Elise m’a pris la vie que je supportais. Il est temps de tout recommencer, n’est-ce pas ? Le passage rapide du bus ralentit une nouvelle fois et mon regard se pose sur les lettres noires du grand immeuble. Aéroport Charles de Gaulle.
Oui, recommencer.Queenfield. Un immeuble. Ca fait déjà quelques temps que je suis arrivé. Que je suis officiellement américain. Et je vais bien, je vais mieux. Je serais même prêt à dire que je suis heureux. J’ai un appartement confortable, spacieux où mon piano rentre parfaitement. J’ai ma jolie petite carte verte que j’ai eue grâce à mon travail. J’ai donc ce travail. Parfait. Pâtissier dans un grand restaurant, mon rêve depuis que je suis gamin. J’ai tout. Tout ce que j’ai toujours voulu. Je fais mille et mille viennoiseries, gâteaux, sucreries. J’ai tout… sauf du sucre. Je fais mes placards, et je ne trouve rien. Pas un seul paquet de sucre. Pour faire des meringues, ça va être problématique. Et, évidemment, nous sommes dimanche. Je soupire, réfléchissant. Une seule solution. La voisine. Je ne la connais pas. Je l’ai déjà vu, une ou deux fois, mais je ne sais pas comment elle s’appelle. Elle est plutôt jolie. Brune, yeux pétillants. De petite taille. Elle ne m’a pas tapé dans l’œil pour autant. Depuis mon départ de Paris, je ne suis pas très porté sur la recherche de la femme de ma vie, je me concentre sur moi, sur mon travail, et c’est bien suffisant. Je me retrouve devant la porte à la couleur défraichie, le numéro brillant en dessous du judas. Je frappe et, au bout de quelques secondes, la figure courte et agréable de ma voisine apparaît dans l’embrasure de la porte. «
Bonjour ? Je peux vous aider ? » Je souris, je ne vais pas faire mon sauvage. Il est mieux d’être en bons termes avec ses voisins. «
Bonjour. Je suis votre voisin. On s’est croisé, il y a quelques temps, dans le hall. Bref, je… j’aurais voulu savoir si je pouvais vous emprunter du sucre… s’il vous plait… » Je lui souris, timide. Je ne le suis pas d’habitude. Il faut croire que ça fait longtemps que je ne suis pas sortie avec des femmes, moi. Je compte sur mon accent français pour le charme, j’ai remarqué que ça marchait remarquablement bien. «
Oui… je me souviens de vous. Vous êtes français, c’est ça ? Hm… Delorges, c’est ça ? » Je suis un peu étonné qu’elle connaisse mon nom. Enfin, je ne devrais pas. Ce n’est pas un grand immeuble, tout le monde doit se connaître. Et le concierge n’a pas dû y aller de main morte avec les ragots. Je suis étranger, ils aiment ça, les étrangers. «
Oui, Loup… Enchanté… » Je lui tends ma main pour la serrer, ce qu’elle fait de sa main gracile et blanche. «
Belle. » Je lève les yeux vers elle. Belle ? Sérieusement ? «
Prénom intéressant. » Elle ne répond pas, mais je crois voir un petit sourire sur ses lèvres fines. Elle me fait signe d’attendre ici et je la vois disparaître dans son appartement. Je laisse divaguer mon regard sur le mobilier simple mais féminin. C’est bien rangé, elle doit vivre seule… célibataire, sûrement. Elle revient quelques minutes plus tard, avec un paquet de sucre qu’elle me tend. Je l’empoigne avec un sourire, je vais pouvoir finir mes meringues. «
Je vous remercie, je vous le revaudrais. Si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez surtout pas. » Je lui souris, et après qu’elle m’ait dit un dernier mot, je retourne dans mon appartement, finir ma pâtisserie.
Belle. Vraiment étrange comme prénom.