« Et si je devais partir ? » « Je crèverai sur place. » Et pourtant il a tourné ses talons. Ses yeux verts quittant les miens. Et là ton monde s’écroule. La première rupture. Probablement l’une des plus douloureuses. Vous y croyez, de tout votre cœur jusqu’à ce jour où tout s’écroule. Du moins, c’est l’impression que vous avez lorsque la jeunesse et l’innocence vous touchent. On se dit que rien ne peut être plus douloureux que de sentir son cœur qui se resserre à ce point, et cette douleur qui parcourt notre corps tout entier. Et pourtant. J’avais 12 ans. Et j’allais toucher le fond deux jours plus tard..
« Niels. Sors de là. » Ma main tendue sous le lit, mes yeux bleus fixaient mon petit frère qui se planquait. Ce jeu pouvait durer des heures si personne ne l’arrêtait. Pourtant c’était à nous cette après-midi de le garder, de l’amuser, et ce jeu commençait à me faire perdre patience. « Sors. Nate va te faire les gros yeux sinon. » Je grossissais mes yeux pour le lui mimer. Méthode implacable qui fonctionnait à chaque fois, aussi bien qu’il attrapait ma main et se glissait hors du lit. « Moi j’aime pas les gros yeux. » Je retenais un sourire et embrassait le haut de son crâne avant qu’il ne reparte au rez de chaussée. C’est étrange de se dire que c’était la dernière fois où j’allais voir mon petit frère. Que cette phrase allait être la dernière qu’il m’avait adressée. Que mon baiser était le dernier.
Voilà un bon quart d’heure que Nate était sortie avec Niels. Allongée dans le canapé, je tentais de garder mon pokémon en vie. Germignon. Pokemon plante. Mes sourcils un peu froncés, mes doigts s’acharnaient sur ma gameboy color que j’avais eu à noël et que je montrais fièrement au collège tel un trophée. Je lâchais un rire avant d’être stoppée par un cri lâché à l’extérieur de la maison. Quelques secondes de silence suffisaient pour me faire hausser les épaules et me remettre dans mon jeu. La sonnette. Un soupire. Je me levais et allait ouvrir, prenant soin de regarder par le petit trou que je trouvais magique à l’époque et par lequel je pouvais regarder pendant des heures. Peut-être était-ce aaron qui allait m’offrir une canne à sucre pour se faire pardonner. Si seulement..
Le macadam défilait rapidement sous mes pieds. Peu importe les feux rouges pour les piétons, et cette voisine qui me courait après et me criait de courir moins vite. C’est dur de réaliser que je traversais cette rue tous les jours pour aller en cours, et qu’à partir de cet instant, je ne la verrai plus jamais de la même façon. La rue bloquée, des voitures arrêtées. Mon cœur s’emballait. Et c’est là qu’on réalise qu’une simple rupture n’est rien à côté de ce qui se dressait devant moi. Jamais il ne m’avait autant fait mal. Jamais mon corps n’avait autant tremblé. Jamais mes yeux ne s’étaient humidifiés aussi rapidement. Il était là. Au sol. Renversé par un lâche qui avait pris la fuite. Mes genoux touchaient enfin le sol, un étrange goût de sang au fond de ma gorge. « Niels. Les gros yeux. » Je pleurais et me faisais relever par la voisine. Ça marchait toujours. Toujours. Mais pas cette fois. « LES YEUX NIELS !! » Les miens le fixaient. Et vous avez l’impression que le monde arrête de tourner. Que plus rien ne compte. Vous n’entendez plus rien à part ce silence qu’il laisse. Aucune réaction. Et vous ne voyez rien à part son regard vide qui fixe le ciel. Et aucun mot censé ne vient saisir votre bouche. Vous hurlez à vous en briser la voix. Vous ignorez tous ces visages tournés vers vous, vers eux, vers lui. Ça c'est la douleur. La vraie. Celle qui ne vous quittera jamais véritablement. Celle qui vous prend aux tripes. Celle qui vous rend malade. Celle qui vous saisit de A à Z. Celle qui ne s'estompera qu'avec le temps. Le temps est passé.. mais pas elle.