« Léo tu pars déjà, p’tain. » T’as jamais vraiment aimé les longues embrassades et les adieux sans fin. A l’aube de tes vingt ans, tu veux juste partir. Pour peut-être un jour mieux revenir. Etouffée au milieu de ta petite bande de médecins, tu leur sers chacun un sourire, promettant de donner des nouvelles de là-bas, de revenir les voir aux vacances, et surtout de pas te faire bouffer par un alligator. Ouais promis.

Et tu décolles, tu t’envoles. Loin des rivières, loin des colères. Tu quittes la Terre pour quelques heures. Tu vis un songe éveillé, ta douce réalité. Toi et ton face à face avec le monde. Tes comptes à rendre et tes idées noires qui restent là bas, en France. Loin de la contrainte de tes études foutues en l’air, de tes comportements un peu trop rebelles au sein du cercle familiale et de la barbarie des coups fourrés qui puent le fric à plein nez. Toi tu veux du dépaysement, tu vois le monde en grand. Partie pour le Cambodge en mission humanitaire, tu comptes pas rentrer de si tôt malgré tout ce que t’as dit. Tu comptes bien profiter de ce laps de liberté chèrement accordé. Après ton bac que t’as eu un peu à la traine, les histoires de foireuses de ton cœur que tu répares avec des clous rouillés, de ta chambre que t’as pendant de longues soirées désertée pour aller dormir un peu partout sauf dans ton plumard. Bien au dessus des nuages tu contemples ça comme un Dieu contemplerait les siens. Maintenant c’est loin, à mille kilomètres au dessus du sol.

Puis des étoiles pleins les yeux t’as fait le chemin en sens inverse. Deux ans plus tard. Brûlée par un soleil de plomb, écorchée par la faune et la flore locale, éreintée par ton boulot nuit et jour. Mais t’es vivante. Et heureuse. Plus que jamais t’as ce sourire qu’on voit pas souvent, ce sourire d’une fille qui sait pourquoi elle pose un pied sur Terre, qui sait ce qu’elle fera sa vie durant. La tête remplie de tes souvenirs haut en couleurs, en parfums et ensevelie par des noms d’ailleurs. Léonie quand tu rentres t’es plus la même que la gamine de vingt ans qu’est partie, qui s’est presque enfuie. Léonie tu rentres chez les tiens avec l’espoir que là bas, tout ait changé pour ton retour. Qu’on t’accueille à bras ouverts comme si tu leur avais manqué. Parce que eux ils t’ont manqué.